Visite du dispositif d'inclusion de travailleurs autistes chez Andros

Publié le par Tristan YVON

J’ai eu l’occasion le 15 septembre 2020 de visiter le dispositif d’inclusion de travailleurs autistes dans l’entreprise Novandie - Andros. Une visite adaptée au contexte sanitaire et aux normes d’hygiène des industries agro-alimentaires.

Acceuil le matin à l'usine d'Andros. De droite à gauche  : Olivier Rudaux (Directeur Général de Novandie-Andros), Jean-François Dufresne (Président de Vivre et Travailler Autrement), et Pascal Jacob (Président d'Handidactique)

Acceuil le matin à l'usine d'Andros. De droite à gauche : Olivier Rudaux (Directeur Général de Novandie-Andros), Jean-François Dufresne (Président de Vivre et Travailler Autrement), et Pascal Jacob (Président d'Handidactique)

Après un accueil par la direction d’Andros, nous avons pu découvrir quatre postes de travail ou travaillent leurs 11 salariés autistes dit sévères, dans les mêmes conditions que leurs collègues neurotypiques. Nous avons été guidés par un binôme comprenant une salariée d’Andros et une salariée de l’association Vivre et travailler autrement, qui accompagne les travailleurs au quotidien.

Les postes adaptés sont principalement des activités de déssachage et conditionnement, les travailleurs participent également au nettoyage de l’usine et au contrôle qualité des produits en laboratoire.
Dès le premier poste de travail j’ai été impressionné par la qualité du séquençage visuel mis à disposition des travailleurs. Les produits sont étiquetés avec des numéros et un code couleur précis, des signalétiques colorées au sol permettent de matérialiser les zones ou entreposer les produits « fini » ainsi que les zones de stocks et les espaces de travail. Ces codes couleurs sont en cohérence totale avec des tableaux ou les références produits et les taches à effectuer sont représentées chronologiquement par des pictos, que les travailleurs déplacent au fur et à mesure. Evidemment tous ces codes couleurs sont également en cohérence avec ceux utilisés dans leur lieu de vie en dehors de l’entreprise.

Les travailleurs bénéficient également de « plans de travail » visuels sous la forme de classeurs ou sont détaillées toutes les étapes de chaque opération. J’ai trouvé ces classeurs très clairs et intuitifs, en cohérence avec les nombreux pictos présents sur les postes de travail. Nos guides nous ont avoué qu’ils aidaient aussi les travailleurs neurotypiques à gagner en productivité, et que les aménagements pour les personnes TSA étaient finalement appréciés de tous.

Les travailleurs ont également des outils pour se repérer dans le temps, dans l’espace et dans leur équipe. Des fiches adaptées au profil des personnes sont installées sur chaque poste de travail, ou sont affichées les images des collègues et des encadrants, ainsi que des horloges ou la position des aiguilles en début et fin de tâche est matérialisée au feutre véléda.

Au final, les travailleurs utilisent les mêmes outils visuels que mon frère et ma sœur, je témoigne parfois humoristiquement de la « déco teacch » qui envahi le domicile des familles concernées. Ces outils souvent indispensables à la communication des personnes TSA sont pourtant trop rarement transposés aux adultes. Ma première pensée a été que beaucoup d’établissements médico-sociaux devraient prendre exemple sur Andros. J’ai rarement vu des outils visuels aussi bien fait que les leurs.

Grace à ces outils et l’accompagnement adapté, l’inclusion des travailleurs TSA se passe bien. Le dernier arrivé est devenu autonome sur un poste de travail dès le premier jour, ce qui laisse pantois car je rappelle qu’on parle de profils sévères. Nous avons pu observer les travailleurs, affectueusement surnommés les « jeunes » par l’équipe, qui effectuaient imperturbablement leur travail. Ils semblent s’être bien adaptés à l’environnement sensoriel, notamment le bourdonnement de l’usine (ils portent des casques anti bruit ou des bouchons au même titre que les autres travailleurs). Certains font quelques stéréotypies en travaillant, qui ne perturbent pas leur activité. L’un d’entre eux, verbal, a pu nous expliquer son travail (conditionnement de farine en seaux de 5 kg) avec un enthousiasme communicatif. Nous avons pu observer sa précision (remplissage des seaux au gramme près), le directeur de l’usine nous a avoué que les collègues râlent quand les jeunes sont en congés car leur rigueur leur manque.

L’inclusion des travailleurs a demandé des adaptations à Andros. Ils se sont notamment avérés inadaptés au poste de tri de palettes car les critères de non-conformité ne sont pas assez précis (les jeunes écartaient toutes les palettes ayant un défaut minime tel un clou mal enfoncé). Ils ont également changé l’implantation de certaines machines pour éviter de déconcentrer les travailleurs qui œuvrent à côté (une organisation qui bénéficie également aux neurotypiques).

Les travailleurs font partie intégrante des équipes de l’usine. Ils sont embauchés en CDI, avec la stabilité qui va avec. Ils payent leurs charges comme tout travailleurs et contribuent par leur travail à l’activité économique du pays. En les regardant l’épanouissement des travailleurs ne fait aucun doute. Andros et Vivre et travailler autrement ont de quoi être fiers de cette réussite.

Une inclusion professionnelle ambitieuse est donc possible y compris avec des profils compliqués, à condition de mettre en place les outils et accompagnements adaptés. L’association Vivre et travailler autrement accompagne d’autres entreprises dans ces démarches d’inclusion, que j’espère voir se multiplier sur le territoire.

Pigeonnier historique juste à côté du lieu de vie des travailleurs

Pigeonnier historique juste à côté du lieu de vie des travailleurs

Une fois leur matinée de travail terminée, les travailleurs retournent dans leur lieu de vie, aménagé dans des bâtiments historiques magnifiquement restaurés à quelques kilomètres de l’usine. Nous y avons découvert une salle d’arts plastique, une salle de piano, une salle de travail, des chambres très grandes et confortables, une « salle de jeux », et des pièces de vie classique (cuisine, salon, laverie,…). Le bâtiment est articulé autour d’un grand patio engazonné, fleuri et agrémenté de carrés d’herbes aromatiques. De vastes espaces extérieurs avec un potager de compétition complètent le tout.

Dans tout le bâtiment, des outils de communication visuels sont installés, avec la même qualité que dans l’entreprise. Les jeunes entretiennent eux même leur lieu de vie l’après-midi, y compris les extérieurs. Ils bénéficient également d’accompagnement pour gagner en autonomie (gérer leur lessive, cuisiner, ect), et d’activités (art plastique, piano, jardinage,). Jean-François Dufresne nous dira un peu plus tard que les équipes ont une consigne clé : Interdiction de faire à leur place. Au-delà de tout cela les résident sont chez eux, ils utilisent les locaux à leur disposition comme bon leur semble (jeux de société, TV, ect).

Mon ressenti sur place était que tant d’espace est vraiment très confortable pour 12 personnes, dont 8 internes. C’est évidemment plus simple à mettre en place en zone péri-urbaine.

Une petite interrogation m’est apparue pendant la visite, sur l’avenir des travailleurs à long terme. Car vu qu’ils rentrent dans leurs familles le week-end, des solutions devront être trouvées lorsque leurs parents ne pourront plus l’assumer. Le dispositif étant unique en France, la question du vieillissement des travailleurs et de leur retraite ne s’est pas encore posée.
JF Dufresne nous a avoué être bien conscient de la question qui arrivera inévitablement. Et vu que le problème dépasse largement son entreprise, je suis assez d’accord avec sa réponse : Il faut que des militants s’emparent de la question pour créer des dispositifs adaptés. Plus facile a dire qu’a faire, mais Andros a prouvé que l’inclusion de personnes autistes sévèrement handicapées était possible dans une usine, ça ne devrait donc pas être insurmontable dans d’autres organismes. Quand on veux on peut.

Au final j’ai trouvé le dispositif d’Andros et Vivre et travailler autrement exemplaire de tous les points de vue. Il ne s'adaptera sans doute pas à tous les profils, j'imagine par exemple mal ma sœur dans ce dispositif tant elle a besoin de guidance et relance constante en plus des pictos. C’est néanmoins un concept à dupliquer d’urgence pour offrir des alternatives au médico-social.

Publié dans Autisme

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